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LA REVUE DE PARIS

beau, sur lequel il y a un ange, était également l’objet de leurs embrassements multiples.

Mon camarade ne voulut pas aller plus loin. De là, du reste, nous voyions la plus grande partie du temple, le grand autel, qui appartient au culte grec ou orthodoxe, une dizaine d’autres autels, tous affectés à des cultes différents. Mais ce que nous regardions surtout, c’était le Tombeau, sorte de grande guérite, percée tout autour de petits trous ou gui— dans laquelle le patriarche orthodoxe fait descendre tous les ans le feu sacré du haut des cieux, dans la nuit du samedi saint. Je regardais aussi beaucoup le Christ, sa Mère et saint Jean, parce que ceux-là ressemblaient parfaitement à ceux que j’avais si souvent vus dans l’église d’Ergué-Gabéric, où ils doivent être encore. Mais mon camarade, qui ne regardait rien que les moujiks, me dit : « F… le camp ; il n’y a rien ici pour nous. »

Nous sortîmes comme nous étions entrés. Mon camarade commençait à avoir soif, et, quoique nous eussions une table et, pour ainsi dire, une cave à notre disposition, nous voulions voir ce qu’il y avait dans les auberges de Jérusalem, sur lesquelles on voyait des enseignes en toutes langues. Il ne faisait pas bon rester dans les rues, il y faisait très chaud, et on ne pouvait faire un pas sans être arrêté par des bandes de gamins qui voulaient nous forcer à leur acheter des cailloux, des morceaux de chiffons, des chapelets, des images, des scapulaires, etc. Nous entrâmes donc dans une auberge, ou plutôt un hôtel, où l’on servait à boire et à manger. Cela était écrit sur la maison, en toutes langues. Le camarade demanda un litre de vin de Jéricho, parce qu’il avait vu cela écrit sur la porte et aussi sur des bouteilles. Nous bûmes ce vin de Jéricho qui était peut-être de Bordeaux ; n’importe, il était bon.

JEAN-MARIE DÉGUIGNET

(À suivre)