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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

de deux commis-voyageurs. Nous n’embrassâmes donc pas la terre et ne chantâmes point de cantique.

En entrant en ville, on voyait des cabarets ou des hôtels avec des enseignes en toutes langues. Notre hôte avait sa demeure vers le centre de la ville ; il tenait un grand bazar universel où les pèlerins pouvaient se procurer tous les articles dits de Jérusalem. Nous fûmes reçus comme les enfants de la maison. Il avait deux fils, deux jeunes gars de quinze à dix-sept ans qui parlaient le français mieux que nous, et bien d’autres langues encore, car, à Jérusalem, les jeunes gens apprennent toutes les langues à la fois. Nous étions arrivés juste les jours des fêtes de Pâques des Russes ou des Orthodoxes, qui ne se célèbrent pas le même jour que les Pâques catholiques et fort heureusement, car il n’y aurait pas de place pour tout le monde et on se mangerait entre orthodoxes et hétérodoxes ; on s’étranglerait au Saint-Sépulcre comme en 1833, où trois cents personnes y périrent étouffées.

Nous n’eûmes rien de plus pressé que d’aller parcourir la ville, qui ne me parut pas bien grande. Il n’y avait alors, au dire de notre conducteur, qu’environ quinze mille habitants. Jérusalem ressemble à toutes les villes mahométanes, avec cette différence qu’ici il y a de grands couvents, ou plutôt des hôtelleries russes et françaises, et des églises qui ont des clochers, choses inconnues aux mahométans.

Un des fils du négociant vint nous montrer ce que nous désirions voir tout d’abord. Moi, j’avais toujours dans la mémoire le souvenir des principales scènes de la Passion et les noms des lieux où elles s’étaient passées : la Montagne des Oliviers, la Grotte de Gethsémani, la Maison d’Anne, celle de Caïphe, celle de Pilate et la place du Golgotha, où eut lieu le dénouement du drame messianique. Notre jeune guide, sachant que nous n’étions pas deux vrais pèlerins, nous fit voir les choses telles qu’elles étaient, et non telles que les pèlerins veulent les voir. Il sourit quand nous lui demandâmes où étaient ces maisons de Caïphe, d’Anne, de Pilate ; il nous dit qu’on faisait bien voir aux pèlerins des maisons comme étant celles de Caïphe, d’Anne, de Pilate et bien d’autres encore.

— Du moins, lui dis-je, si les maisons n’existent plus.