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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON


   O jour céleste ! O pure et douce ivresse !
   Amour sacré, qu’êtes vous devenu ?
   Dieu se souvient de la sainte promesse.
   Mais toi, chrétien, dis-moi, t’en souviens-tu ?

Après ma première communion, je n’allai plus mendier ; j’allais en journée avec mon père dans les fermes pendant l’été, et l’hiver, je l’aidais à faire des fagots ou à creuser des trous pour mettre des plants. À treize ans, après les trois communions réglementaires parmi les enfants, je trouvai à me placer comme troisième domestique dans une ferme. Mes débuts ne furent pas heureux. J’avais plus de volonté et de courage que de force ; je ne voulais pas perdre avec les autres domestiques, beaucoup plus forts que moi. Je fis tant d’efforts pour les suivre que, bientôt, je tombai malade et fus obligé, pour me guérir, de retourner chez mes parents. Ce fut en pleurant que je rentrai chez moi, où j’allais être encore à charge, là où il y avait déjà bien des bouches de trop. Je fis une terrible maladie. On crut encore une fois que c’en était fait de moi. Le curé était venu me donner les derniers sacrements. Les médecins, en ce temps-là, étaient complètement inconnus dans nos campagnes, et, ne l’eussent-ils pas été, nos moyens ne permettaient pas de les quérir. En revanche, nos pays bretons étaient remplis de prétendus sorciers et sorcières. Il en vint plusieurs me voir. L’un disait que mes côtes étaient tombées, l’autre que c’était l’os du sternum, — ench ar galon.

Vint enfin la vieille fille, mon institutrice, qui prétendit que c’était un sort qu’on m’avait jeté, par jalousie, à cause que j’étais plus savant que les enfants des riches. Il fallait donc, selon la béate fille, trouver quelque chose de divin pour combattre la puissance diabolique, et, pour cela, elle ne trouva rien mieux que promettre une bonne chandelle à Notre-Dame de Kerdevot, qui, en ce temps-là, était en grande faveur dans toute la Basse-Bretagne, et qui était justement dans notre commune. Elle conseilla aussi d’aller chercher quelques bouteilles d’eau à la fontaine qui était auprès de la chapelle de cette bonne vierge, puis elle me dit de réciter le plus souvent possible des pater et des ave à l’adresse de cette divine mère, qu’elle allait elle-même supplier dans ses propres

II
15 Décembre 1904.