mes hardes et je me sauvai sans plus dire un mot, et descendis presque en courant vers la ville. J’étais près d’y entrer, lorsque j’entendis une des bonnes, qui était seule à la maison pendant mon entretien avec le maire, crier après moi ; je m’arrêtai un instant ; quand elle fut près de moi, tout essoufflée, elle me dit que le maire serait dans une heure au café de la Liberté, sur la place Saint-Corentin, et qu’il me priait de m’y rendre, qu’il avait encore quelque chose de sérieux à me dire. Je répondis à la bonne que je n’y manquerais pas. Deux minutes après, j’étais sur la place, au moment même où Robic arrivait à ma rencontre, en me disant qu’il avait trouvé mon affaire. Il me conduisit dans la rue Vili, dans cette triste rue où j’avais trouvé mes premières misères, chez un tailleur de campagne. Celui-ci, après avoir examiné mes effets, m’en offrit quarante francs ; ils valaient bien le double, mais je n’avais pas le temps de discuter : j’acceptai son offre. Je pensais du reste, que puisque le maire me faisait appeler, c’est qu’il avait peut-être envie de me donner quelque chose. Je payai même encore à boire au tailleur et à mon vieux de la vieille, puis je dis à celui-ci d’aller m’attendre dans son débit habituel, en attendant que j’allasse voir ce que M. le maire avait à me dire.
En entrant au café de la Liberté, je fus saisi d’un éblouissement subit ; il y avait beaucoup de monde, tous des messieurs, mais j’en voyais encore, sans doute, plus qu’il n’y en avait, car mon éblouissement me faisait voir double. Instinctivement, je tirai mon chapeau de la manière que je faisais quand je mendiais mon pain. Un homme à tablier blanc, une serviette sous le bras, vint à moi le bras tendu et j’allais être mis à la porte, lorsque le maire, que dans mon ahurissement je n’avais pas remarqué, me saisit avant le garçon par le bras et me conduisit à une table où il y avait un monsieur que je ne connaissais pas, mais qui, ayant été sans doute instruit de mon cas par le maire, me dit :
— Comme ça, jeune homme, vous allez faire la guerre ?
— Je ne sais pas, monsieur, mais j’irai certainement de bon cœur si j’y suis appelé.
— C’est bien ça, mon petit, je vois que vous allez faire un bon soldat.