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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

soit dans cette position depuis plus de deux mille ans. Elle prouve que les Romains connaissaient bien les lois de l’équilibre des corps.

La musique de Pise nous accompagna jusqu’à ce que la musique ou plutôt deux musiques de Pistoia vinssent nous prendre. La route, comme les rues de Livourne et de Pise, était couverte de fleurs ; des paysans et des paysannes venus de très loin, sans doute, formaient deux haies aux abords. À chaque instant, nous passions sous des arcs de triomphe tout faits de fleurs, de lauriers et de couronnes. Plus loin, c’était une chapelle où deux ou trois prêtres chantaient des Te Deum et des Alléluia, en nous lançant des bouffées d’encens. Des jeunes gens, des gamins même, demandaient nos sacs et nos fusils à porter.

Nous entrâmes à Pistoia au milieu des mêmes scènes délirantes et indescriptibles que la veille à Livourne. Les haies étaient toujours formées par une multitude de jeunes filles aux cheveux bruns, avec des yeux noirs, des joues de grenade, des lèvres de roses, — des anges ! Aucun paradis, pas même celui de Mahomet, ne doit en contenir de semblables, car ils ne peuvent pas, ces anges célestes, dans ces immenses déserts, avoir des mouvements de transport, d’enthousiasme, de délire patriotique comme ces anges terrestres de la belle Toscane, qui étaient prêts à offrir leurs cœurs et leur sang pour la liberté de leur patrie. En passant entre ces haies blanches et mobiles, j’avais toujours les larmes aux yeux ; en traçant ces lignes, mes larmes coulent encore.

À Pistoia, nous fûmes logés dans une église où il y avait de la paille fraîche à discrétion, mais nous eûmes à peine le temps de mettre nos sacs à terre, que nous fûmes enlevés pour ainsi dire et transportés dans des maisons particulières ou dans des cafés et restaurants, par les gens de la ville. Je fus entraîné ou plutôt porté par deux jeunes gens dans un grand établissement, où il y avait déjà au moins la moitié des hommes du bataillon rangés en cercles autour des tables communes, toutes couvertes de victuailles et de boissons chaudes et froides. Mes deux jeunes gens portaient des képis de soldats ; ils venaient de s’engager volontaires dans l’armée toscane, commandée par le général Ulloa, qui était lui-même placé