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MÉMOIRES D’UN PAYSAN BAS-BRETON

sergent-major ; il avait reçu, me disait-il, une forte instruction ; il prit un volume qu’il se mit à parcourir aussitôt ; mais le soir il vint me trouver et me dit :

— Eh bien, es-tu content de ton livre ?

— Ma foi, je ne sais pas trop. Il y a beaucoup de choses dessus, toujours.

— Beaucoup d’imbécillités, me répondit-il ; ce fameux J. R… est un farceur, un charlatan ; il nous a volé à chacun cinq francs ; celui qui veut me donner cinquante centimes, je lui donne le mien.

En effet, tous ceux qui savaient quelque chose étaient d’accord pour crier au charlatan, au voleur, et le lendemain le livre était offert pour une goutte : beaucoup avaient déjà commencé de s’en servir pour allumer leurs pipes ou pour tout autre service.


XIV

LA GUERRE D’ITALIE


Au commencement de 1859 aussi, il était beaucoup question de guerre. Le caporal dont j’ai parlé, l’ex-sergent-major, qui était presque un savant, s’intéressait aux choses de la politique. Il était riche de chez lui et allait souvent dans les grands cafés, où il voyait les journaux. Celui-là m’assurait, vers le milieu du mois de mars, que la guerre était imminente entre l’Autriche et le Piémont, et que la France ne pouvait manquer d’intervenir en faveur du Piémont, notre allié, qui nous avait donné un bon coup de main en Crimée. Dans les premiers jours d’avril, toute l’armée de Paris était convoquée au Champ de Mars pour une grande revue de l’empereur ; on disait que c’était la revue de départ.

Notre régiment était alors au fort d’Ivry. Il y avait là un aumônier, qui invitait les soldats catholiques à faire leurs Pâques. Je n’avais pas encore renoncé à la religion, quoique les charlataneries que j’avais vues à Jérusalem m’en eussent presque dégoûté. Cet aumônier, qui avait l’air d’un vieux