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souffrances. Non mon frère, lui dis-je, nous mourrons ensemble quand les forces m'abandonneront. Dans cette sainte compagnie, j'étais sans crainte, résigné à la mort; j'y restai trois heures, et je vis une des deux demoiselles tomber de lassitude et se noyer: elle était trop éloignée de moi pour que je pusse la soutenir.

Comme j'y pensais le moins, j'aperçus la yole assez proche de nous; il était alors cinq heures du soir. Je criai aux rameurs que j'étais leur lieutenant, et leur demandai la permission de partager avec eux notre infortune. Ils m'accordèrent la liberté d'entrer dans leur canot, à la seule condition d'aller moi-même les joindre à la nage; il était de leur intérêt d'avoir un conducteur pour découvrir la terre. Je rassemblai toutes mes forces, et je fus assez heureux pour y parvenir à la nage. Peu après j'aperçus le pilote et le maître, que je venais de laisser sur le grand mât, tous deux suivre mon exemple; ils vinrent à la nage vers la yole, et nous les reçûmes. Cet heureux canot fût l'arche qui sauva les dix personnes qui échappèrent seules de près de trois cents.

Cependant les flammes dévoraient toujours notre vaisseau, et nous n'en étions éloignés que d'une demi-lieue; notre trop grande proximité pouvant nous être funeste, nous nageâmes un peu au vent. Peu de temps après, le feu s'étant communiqué à nos poudres de cargaison, je ne saurais exprimer avec quel fracas notre malheureux navire sauta en l'air. Un nuage des plus épais nous déroba la lumière du soleil; dans cette affreuse obscurité, nous n'aperçûmes que de grosses pièces de bois en feu,