volontiers. Les uns étaient tout nus, et les autres en chemise; ils avaient encore la bonté de plaindre mon sort, et leur malheur mettait ma sensibilité à la plus rude épreuve.
Le grand mât brûlé par le pied, et tombant à la mer, donna par sa chute la mort aux uns, et aux autres une faible ressource; je vis ce mât, chargé de monde, abandonné au gré des flots. Dans le moment j'aperçus deux matelots sur une cage à poule; je leur criai: « mes enfants, les portières à la main, nagez jusqu'à moi. » ces portières sont des planches de sapin. Ils m'approchèrent accompagnés de quelques autres; je saisis cette cage, et tous, une portière à la main, qui nous servait d'aviron, nous allâmes nous joindre à ceux qui s'étaient emparés du grand mât. J'y rencontrai heureusement l'aumônier, qui me donna l'absolution. Nous étions près de quatre-vingts hommes, tous menacés d'être emportés par les boulets que la flamme chassait des canons. Hélas ! Notre capitaine, M. Morin, qui ne quitta point le vaisseau, fut sans doute enseveli sous ses ruines; je vis aussi sur le mât deux jeunes demoiselles dont la piété m'édifia: il y avait six femmes sur le vaisseau, les quatre autres étaient déjà noyées ou brûlées. Notre cher aumônier, dans cette affreuse situation, touchait les cœurs les plus insensibles par ses pieux discours et ses exemples de patience et de résignation. L'ayant vu tourner sur le mât et tomber à la mer, comme j'étais derrière lui, je le relevai. Laissez-moi aller, me dit-il, je suis rempli d'eau, et je ne ferais que prolonger mes