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de mes frères. Dans cette fâcheuse situation, je crus devoir prolonger les dernières heures de ma vie, pour les donner à Dieu. Je me décharge de mes habits, je veux me laisser rouler le long d'une vergue dont un bout touchait à la mer; mais elle était si chargée de malheureux que la crainte de se noyer y retenait encore, que je roulais par-dessus eux, et je tombai dans la mer, en me recommandant à la miséricorde du ciel. Un soldat vigoureux, qui se noyait, me saisit dans cette extrémité; je fais les derniers efforts pour m'en débarrasser, mais inutilement. Je me laisse couler au-dessous de l'eau, il ne me quitte pas pour cela; je replonge une seconde fois, mais il me tient toujours ferme; il ne peut pas même penser que ma mort hâte la sienne, plutôt que de lui être utile. Enfin, après un temps considérable de combat, ses forces étant épuisées par la quantité d'eau qu'il avalait, et voyant que je me replongeais pour la troisième fois, il crut que j'allais l'entraîner au fond de la mer, il me laissa la liberté; pour ne plus lui donner prise, je m'élevais au-dessus de l'eau à quelques distance de lui.

Cette première aventure m'inspira plus de précautions dans ma route; j'évitais même les cadavres; le nombre en était déjà si grand, que, pour me donner un libre passage, j'étais obligé de mes éloigner d'une main, en me soutenant de l'autre. Mes forces commençant à diminuer, ne m'annonçaient que trop que j'avais besoin d'une station; une vergue s'offrit à mes yeux, elle était toute chargée de monde, et je n'osais y prendre place sans en demander la permission, que ces infortunés m'accordèrent