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musiciens est si générale, qu’il semble que chaque feuille dans le bois ait pris la langue et la figure d’un rossignol ; et même l’Écho prend tant de plaisir à leurs airs, qu’on diroit à les lui entendre répéter, qu’elle ait envie de les apprendre. À côté de ce bois se voient deux prairies, dont le vert-gai continu fait une émeraude à perte de vue. Le mélange confus des peintures que le Printemps attache à cent petites fleurs en égare les nuances l’une dans l’autre avec une si agréable confusion, qu’on ne sait si ces fleurs agitées par un doux, zéphyr courent plutôt après elles-mêmes, qu’elles ne fuient pour échapper aux caresses de ce vent folâtre. On prendroit même cette prairie pour un Océan, à cause qu’elle est comme une mer qui n’offre point de rivage, en sorte que mon œil épouvanté d’avoir couru si loin sans découvrir le bord y envoyait vitement ma pensée ; et ma pensée doutant que ce fût l’extrémité du monde, se vouloit persuader que des lieux si charmans avoient peut-être forcé le Ciel de se joindre à la Terre. Au milieu d’un tapis si vaste et si plaisant, court à bouillons d’argent une fontaine rustique qui couronne ses bords d’un gazon émaillé de bassinets (40), de violettes, et de cent autres petites fleurs, qui semblent se presser à qui s’y mirera la première : elle est encore au berceau, car elle ne vient que de naître, et sa face jeune et polie ne montre pas seulement une ride. Les grands cercles qu’elle promène en revenant mille fois sur soi-même, montrent que c’est bien à regret qu’elle sort de son pays natal ; et comme si elle eût été honteuse de se voir caressée auprès de sa mère, elle repoussa en murmurant ma main qui la vouloit toucher. Les animaux qui s’y venoient désaltérer, plus raisonnables que ceux de notre monde, témoignoient être surpris de voir qu’il faisoit grand jour vers l’horizon, pendant qu’ils regar-