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velle-France où nous sommes en produit un exemple bien convaincant. Ce vaste continent de l’Amérique est une moitié de la Terre, laquelle en dépit de nos prédécesseurs qui avoient mille fois cinglé l’Océan, n’avoit point encore été découverte ; aussi n’y étoit-elle pas encore non plus que beaucoup d’îles, de péninsules, et de montagnes, qui se sont soulevées sur notre globe, quand les rouillures du Soleil qui se nettoyoit ont été poussées assez loin, et condensées en pelotons assez pesans pour être attirées par le centre de notre monde, possible peu à peu en particules menues, peut-être aussi tout à coup en une masse. Cela n’est pas si déraisonnable, que saint-Augustin n’y eût applaudi, si la découverte de ce pays eut été faite de son âge ; puisque ce grand personnage, dont le génie étoit éclairé du Saint-Esprit, assure que de son temps la Terre étoit plate comme un four, et qu’elle nageoit sur l’eau comme la moitié d’une orange coupée. Mais si j’ai jamais l’honneur de vous voir en France, je vous ferai observer par le moyen d’une lunette fort excellente, que certaines obscurités qui d’ici paroissent des taches, sont des mondes qui se construisent. »

Mes yeux qui se fermoient en achevant ce discours, obligèrent le Vice-Roi[1] de sortir. Nous eûmes le lendemain, et les jours suivans, des entretiens de pareille nature. Mais comme quelque temps après l’embarras des affaires de la Province accrocha notre Philosophie, je retombai de plus belle au dessein de monter à la Lune.

Je m’en allois dès qu’elle étoit levée rêvant parmi les bois, à la conduite et au réussit de mon entreprise ; et enfin une veille de Saint-Jean qu’on tenoit conseil dans

  1. Ms. : M. de Montmagnie.