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à tous ? Quoi ! parce que le Soleil compasse nos jours et nos années, est-ce à dire pour cela qu’il n’ait été construit qu’afin que nous ne frappions pas de la tête contre les murs ? Non, non, si ce Dieu visible éclaire l’homme, c’est par accident, comme le flambeau du Roi éclaire par accident au Crocheteur qui passe par la rue.

— Mais, me dit-il, si comme vous assurez, les étoiles fixes sont autant de Soleils, on pourroit conclure de là, que le monde seroit infini, puisqu’il est vraisemblable que les peuples de ce monde qui sont autour d’une étoile fixe que vous prenez pour un Soleil, découvrent encore au-dessus d’eux d’autres étoiles fixes que nous ne saurions apercevoir d’ici, et qu’il en va de cette sorte à l’infini (33).

— N’en doutez point, lui répliquai-je ; comme Dieu a pu faire l’âme immortelle, il a pu faire le monde infini, s’il est vrai que l’éternité n’est rien autre chose qu’une durée sans bornes, et l’infini une étendue sans limites. Et puis Dieu seroit fini lui-même, supposé que le monde ne fût pas infini, puisqu’il ne pourroit pas être où il n’y auroit rien, et qu’il ne pourroit accroître la grandeur du monde, qu’il n’ajoutât quelque chose à sa propre étendue, commençant d’être où il n’étoit pas auparavant. Il faut donc croire que comme nous voyons d’ici Saturne et Jupiter, si nous étions dans l’un ou dans l’autre, nous découvririons beaucoup de mondes que nous n’apercevons pas, et que l’univers est à l’infini construit de cette sorte (34). — Ma foi ! me répliqua-t il, vous avez beau dire, je ne saurois du tout comprendre cet infini. — Hé ! dites-moi, lui repartis-je, comprenez-vous le rien qui est au delà ? Point du tout. Car quand vous songez à ce néant, vous vous l’imaginez tout au moins comme du vent ou comme de l’air, et cela c’est quelque chose ;