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quand je lui dis qu’il falloit que la Terre eût tourné pendant mon élévation ; puisqu’ayant commencé de monter à deux lieues de Paris, j’étois tombé par une ligne quasi perpendiculaire en Canada.

Le soir, comme je m’allois coucher, il entra dans ma chambre, et me dit : « Je ne serois pas venu interrompre votre repos, si je n’avois cru qu’une personne qui a pu trouver le secret de faire tant de chemin en un demi-jour[1], n’ait pas eu aussi celui de ne se point lasser. Mais vous ne savez pas, ajouta-t-il, la plaisante querelle que je viens d’avoir pour vous avec nos Pères ? Ils veulent absolument que vous soyez magicien ; et la plus grande grâce que vous puissiez obtenir d’eux, est de ne passer que pour imposteur. Et en effet, ce mouvement que vous attribuez à la Terre est un paradoxe assez délicat ; et pour moi je vous dirai franchement, que ce qui fait que je ne suis pas de votre opinion, c’est qu’encore qu’hier vous soyez parti de Paris, vous pouvez être arrivé aujourd’hui en cette contrée, sans que la Terre ait tourné ; car le Soleil vous ayant enlevé par le moyen de vos bouteilles, ne doit-il pas vous avoir amené ici, puisque selon Ptolomée, et les philosophes modernes, il chemine du biais que vous faites marcher la Terre ? Et puis quelle grande vraisemblance avez-vous pour vous figurer que le Soleil soit immobile, quand nous le voyons marcher ? et quelle apparence que la Terre tourne avec tant de rapidité, quand nous la sentons ferme dessous nous ? — Monsieur, lui répliquai-je, voici les raisons à peu près qui nous obligent à le préjuger. Premièrement, il est du sens commun de croire que le Soleil a pris place au centre de l’univers, puisque tous les corps qui sont dans la Nature ont besoin de ce feu

  1. Ms : neuf cents lieux en demi-journée.