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sances que la révérende Mère Marguerite, qui l’estimoit particulièrement, voulut lui procurer, comme s’il eût pressenti que ce qui fait le bonheur de cette vie, lui eût été inutile pour s’assurer celui de l’autre. Ce fut la seule pensée qui l’occupa sur la fin de ses jours d’autant plus sérieusement que Mme de Neuvillette, cette femme toute pieuse, toute charitable, toute à son prochain, parce qu’elle est toute à Dieu, et de qui il avoit l’honneur d’être parent du côté de la noble Famille des Bérangers, y contribua de sorte qu’enfin le libertinage dont les jeunes gens sont pour la plupart soupçonnés, lui parut un Monstre, pour lequel je puis témoigner qu’il eut depuis cela toute l’aversion qu’en doivent avoir ceux qui veulent vivre chrétiennement.

J’augurai ce grand changement quelque temps avant sa mort, de ce que lui ayant, un jour, reproché la mélancolie qu’il témoignoit dans les lieux où il avoit accoutumé de dire les meilleures et les plus plaisantes choses, il me répondit que c’étoit à cause que commençant à connoître le monde, il s’en désabusoit : et qu’enfin il se trouvoit dans un état où il prévoyoit que dans peu la fin de sa vie seroit la fin de ses disgrâces ; mais qu’en vérité son plus grand déplaisir étoit de ne l’avoir pas mieux employée.

Jam juvenem vides, me dit-il, instet cum serior œtas Mærentem stultos præteriisse dies. Et, en vérité, ajousta-t-il, je croy que Tibulle prophétisoit de moi, quand il parloit de la sorte ; car personne n’eut jamais tant de regret que j’en ai de tant de beaux jours passés si inutilement.


Nous en avons une autre preuve dans des actes qui excluent la discussion. Pourquoi l’Église aurait-elle masqué la vérité ? La notoriété de Cyrano n’était pas telle — il n’en avait alors aucune — qu’on se soit préoccupé par avance de sa fin chrétienne ou non ! S’il avait refusé le concours du prêtre, son cousin, Pierre de Cyrano m’aurait appelé un confesseur que quand le malade eût été privé de connaissance. Dans ce cas le curé de Sannois se serait évité la peine de préciser que son paroissien était passé de vie à trépas en « bon chrétien ».

Cyrano laissait un très petit héritage à son frère Abel II,