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de l’État, de même que du corps humain, où l’on trouve diversement des puissances qui commandent, qui conseillent ou qui délibèrent, des membres qui travaillent et qui exécutent, et des parties qui ne se nourrissent que pour engraisser les autres. Nous sommes de ces dernières, puisque nous fournissons même aux Souverains de quoi subsister, que nous les entretenons de nos sueurs, et que tout ce qui passe dans leurs mains est sorti des nôtres. Mais comme ces parties dessèchent celles qu’elles abreuvent quand elles sont elles-mêmes trop desséchées, et qu’il n’est pas possible qu’elles leur fournissent quelque nourriture quand elles en manquent, c’est aussi de là, Madame, que le pouvoir des Rois diminue avec le nôtre, que leur autorité s’affaiblit quand nous n’avons plus de quoi l’appuyer, et qu’ils ne peuvent être fermes quand leurs peuples tombent. Nous avons fait confesser aux étrangers que la France étoit le plus riche de tous les Royaumes, par les sommes prodigieuses que nous avons tous fournies pour conserver nos alliés, et pour entretenir la guerre depuis vingt années ; jusque-là nous avions douté de nos forces ; nous n’avions connu ni nos richesses, ni notre crédit, et pour nous faire croire que nous eussions pû durer si long-temps, il nous eût fallu de nouveaux Prophètes. Cependant, nous nous sommes épuisés pour la gloire et pour la grandeur de la Couronne, nous avons accordé au bien de l’État tout le fruit de notre industrie et de nos veilles ; nous avons vendu jusques à nos héritages et à nos acquêts, et même jusques à nos espérances ; et comme si c’eût été trop peu pour notre devoir et que la soumission l’eût enchéri sur l’amour et sur la nature, nous avons quitté nos femmes et sacrifié jusques à nos enfans pour empêcher qu’on ne nous pût faire aucune demande, ni aucun reproche. Après les marques de cette obéissance aveugle et les ouvrages d’un