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conte ; mais je restai bien surprise, quand un quart d’heure après je sus qu’il avoit déféré le Jaloux en justice. Les Magistrats néanmoins qui peut-être craignirent de donner trop à l’exemple ou à la nouveauté de l’accident, envoyèrent cette cause au Parlement du Royaume des Justes. Là il fut condamné, outre le bannissement perpétuel, d’aller finir ses j ours en qualité d’esclave sur les terres de la République de Vérité, avec défenses à tous ceux qui descendront de lui auparavant la quatrième génération, de remettre le pied dans la Province des Amans ; même il lui fut enjoint de n’user jamais d’hyperbole, sur peine de la vie.

« Je conçus, depuis ce temps-là, beaucoup d’affection pour ce jeune Homme qui m’avoit conservée ; et soit à cause de ce bon office, soit à cause de la passion avec laquelle il m’avoit servie, je ne le refusai point, son noviciat et le mien étant achevés, quand il me demanda pour être l’une de ses femmes.

« Nous avons toujours bien vécu ensemble, et nous vivrions bien encore, sans qu’il a tué, comme je vous ai dit, un de mes enfans par deux fois, dont je m’en vas implorer vengeance au Royaume des Philosophes. » Nous étions, Campanella et moi, fort étonnés du grand silence de cet Homme ; c’est pourquoi je tâchai de le consoler, jugeant bien qu’une si profonde taciturnité étoit fille d’une douleur très profonde, mais sa Femme m’en empêcha. « Ce n’est pas, dit-elle, l’excès de sa tristesse qui lui ferme la bouche, ce sont nos lois qui défendent à tout criminel cité en justice de parler que devant les juges. »

Pendant cet entretien, l’Oiseau avançoit toujours pays. Je fus tout étonné quand j’entendis Campanella, d’un visage plein de joie et de transport s’écrier : « Soyez le très-bien venu, le plus cher de tous mes amis ! Allons,