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son ami l’affection qu’il lui porte, on aperçoit son cœur élancer des rayons jusque dans sa mémoire, sur l’image de celui qu’il aime ; et quand au contraire il veut témoigner son aversion, on voit son cœur darder contre l’image de celui qu’il hait, des tourbillons d’étincelles brûlantes, et se retirer tant qu’il peut en arrière ; de même quand il parle en soi-même, on remarque clairement les espèces, c’est-à-dire les caractères de chaque chose qu’il médite, qui s’imprimant ou se soulevant, viennent présenter aux yeux de celui qui regarde, non pas un discours articulé, mais une histoire en tableau de toutes ses pensées. »

Mon guide vouloit continuer, mais il en fut détourné par un accident jusqu’à cette heure inouï ; et ce fut que tout à coup nous aperçûmes la terre se noircir sous nos pas, et le Ciel allumé de rayons s’éteindre sur nos têtes, comme si on eût développé entre nous et le Soleil un dais large de quatre lieues.

Il me paroît malaisé de vous dire ce que nous nous imaginâmes dans cette conjoncture. Toutes sortes de terreurs nous vinrent assaillir, jusqu’à celle de la fin du Monde, et nulle de ces terreurs ne nous sembla hors d’apparence ; car de voir la nuit au Soleil, ou l’air obscurci de nuages, c’est un miracle qui n’y arrive point. Ce ne fut pas toutefois encore tout ; incontinent après un bruit aigre et criard, semblable au son d’une poulie qui tourneroit avec rapidité, vint frapper nos oreilles, et tout au même temps nous vîmes choir à nos pieds une cage. A peine eut-elle joint le sable, qu’elle s’ouvrit pour accoucher d’un Homme et d’une Femme : ils traînoient une ancre qu’ils accrochèrent aux racines d’un roc. En suite de quoi nous les aperçûmes venir à nous. La Femme conduisoit l’Homme, et le tirailloit en le menaçant. Quand elle fut fort près de nous : « Messieurs, dit-elle