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exercer toutes les fonctions dont ils ont contracté l’instinct dans l’eau des trois Rivières, des cinq Fontaines, et de l’Étang. C’est pourquoi ils se laissent attirer aux plantes pour végéter ; les plantes se laissent brouter aux animaux pour sentir ; et les animaux se laissent manger aux hommes afin qu’étant passés en leur substance, ils viennent à réparer ces trois facultés, de la Mémoire, de l’imagination et du Jugement dont les Rivières du Soleil leur avoient fait pressentir la puissance.

Or selon que les atomes ont ou plus ou moins trempé dedans l’humeur de ces trois Fleuves, ils apportent aux animaux plus ou moins de Mémoire, d’imagination ou de Jugement, et selon que dans les trois Fleuves ils ont plus ou moins contracté de la liqueur des cinq Fontaines et de celle du petit Lac, ils leur élaborent des sens plus ou moins parfaits, et produisent des âmes plus ou moins endormies (246).

Voici à peu près ce que nous observâmes touchant la nature de ces trois Fleuves. On en rencontre partout de petites veines écartées çà et là ; mais pour les bras principaux, ils vont droit aboutir à la Province des Philosophes. Aussi nous rentrâmes dans le grand chemin sans nous éloigner du courant que ce qu’il faut pour monter sur la chaussée. Nous vîmes toujours les trois grandes Rivières qui flottoient à côté de nous ; mais pour les cinq Fontaines, nous les regardions de haut en bas serpenter dans la prairie. Cette route est fort agréable, quoique solitaire ; on y respire un air libre et subtil qui nourrit l’âme et la fait régner sur les passions.

Au bout de cinq ou six journées de chemin, comme nous divertissions nos yeux à considérer le différent et riche aspect des paysages, une voix languissante comme d’un malade qui gémiroit, parvint à nos oreilles. Nous nous approchâmes du lieu d’où nous jugions qu’elle