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l’une de l’autre. Celle de la Vue semble un tuyau fourchu plein de diamans en poudre, et de petits miroirs qui dérobent et restituent les images de tout ce qui se présente ; elle environne de son cours le royaume des Lynx. Celle de l’Ouïe est pareillement double ; elle tourne en s’insinuant comme un dédale, et l’on oit retentir au plus creux des concavités de sa couche un écho de tout le bruit qui résonne alentour ; je suis fort trompé si ce ne sont des renards que j’ai vu s’y curer les oreilles. Celle de l’Odorat paroît comme les précédentes, qui se divise en deux petits canaux cachés sous une seule voûte ; elle extrait de tout ce qu’elle rencontre je ne sais quoi d’invisible, dont elle compose milles sortes d’odeurs qui lui tiennent lieu d’eau ; on trouve aux bords de cette source force chiens qui s’affinent le nez. Celle du Goût coule par saillies, lesquelles n’arrivent ordinairement que trois ou quatre fois le jour ; encore faut-il qu’une grande vanne de corail soit levée, et, par-dessous celle-là quantité d’autres fort petites qui sont d’ivoire ; sa liqueur ressemble à de la salive. Mais quant à la cinquième, celle du Toucher, elle est si vaste et si profonde qu’elle environne toutes ses sœurs, jusqu’à se coucher de son long dans leur lit, et son humeur épaisse se répand au large sur des gazons tout verts de plantes sensitives.

« Or vous saurez que j’admirois, glacé de vénération, les mystérieux détours de toutes ces fontaines, quand à force de cheminer je me suis trouvé à l’embouchure où elles se dégorgent dans les trois Rivières. Mais suivez-moi, vous comprendrez beaucoup mieux la disposition de toutes ces choses en les voyant. » Une promesse si forte selon moi acheva de m’éveiller ; je lui tendis le bras, et nous marchâmes par le même chemin qu’il avoit tenu le long des levées qui compriment les cinq Ruisseaux, chacun dans son canal.