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ébranlée, elle se dressa sur un angle de son cube et se laissa tomber de toute sa pesanteur sur l’estomac de la Salemandre, avec un tel succès, que le cœur de la pauvre Salemandre, où tout le reste de son ardeur s’étoit concentré, en se crevant, fit un éclat si épouvantable que je ne sais rien dans la Nature pour le comparer.

Ainsi mourut la Bête à feu sous la paresseuse résistance de l’animal Glaçon.

Quelque temps après que la Remore se fut retirée, nous nous approchâmes du champ de bataille ; et le vieillard, s’étant enduit les mains de la terre sur laquelle elle avoit marché comme d’un préservatif contre la brûlure, il empoigna le cadavre de la Salemandre. « Avec le corps de cet animal, me dit-il, je n’ai que faire de feu dans ma cuisine : car pourvu qu’il soit pendu à la crémaillère, il fera bouillir et rôtir tout ce que j’aurai mis à l’àtre. Quant aux yeux, je les garde soigneusement ; s’ils étoient nettoyés des ombres de la mort, vous le prendriez pour deux petits Soleils. Les Anciens de notre Monde les savoient bien mettre en œuvre ; c’est ce qu’ils nommoient des lampes ardentes, et l’on ne les appendoit qu’aux sépultures pompeuses des personnes illustres.

« Nos Modernes en ont rencontré en fouillant quelques-uns de ces fameux tombeaux, mais leur ignorante curiosité les a crevés, en pensant trouver derrière les membranes rompues ce feu qu’ils y voyoient reluire (228). »

Le Vieillard marchoit toujours, et moi je le suivois, aitentif aux merveilles qu’il me débitoit. Or à propos du combat, il ne faut pas que j’oublie l’entretien que nous eûmes touchant l’animal Glaçon.

« Je ne crois pas, me dit-il, que vous ayez jamais vu de Remores, car ces poissons ne s’élèvent guère à fleur d’eau : encore n’abandonnent-ils quasi point l’océan Septentrional. Mais sans doute vous aurez vu de certains ani-