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de qui vous avez tant de fois soutenu que les oiseaux raisonnent ? C’est moi qui tantôt pendant votre procès ai voulu, après l’audience, déclarer les obligations que je vous ai : mais la douleur de vous voir en un si grand péril, m’a fait tomber en pâmoison. » Son discours acheva de me dessiller la vue, L’ayant donc reconnu, je l’embrassai et le baisai ; il m’embrassa et me baisa. « Donc, lui dis-je, est-ce toi, mon pauvre César, à qui j’ouvris la cage pour te rendre la liberté que la tyrannique coutume de notre monde t’avoit ôtée ? »

Le Roi interrompit nos caresses, et me parla de la sorte : « Homme, parmi nous une bonne action n’est jamais perdue ; c’est pourquoi encore qu’étant Homme tu mérites de mourir seulement à cause que tu es né, le Sénat te donne la vie. Il peut bien accompagner de cette reconnoissance les lumières dont Nature éclaira ton instinct, quand elle te fit pressentir en nous la raison que tu n’étois pas capable de connoître. Va donc en paix, et vis joyeux ! »

Il donna tout bas quelques ordres, et mon Autruche blanche, conduite par deux Tourterelles, m’emporta de l’assemblée.

Après m’avoir galopé environ un demi-jour, elle me laissa proche d’une forêt, où je m’enfonçai dès qu’elle fut partie. Là je commençai à goûter le plaisir de la liberté, et celui de manger le miel qui couloit le long de l’écorce des arbres.

Je pense que je n’eusse jamais fini ma promenade ; car l’agréable diversité du lieu me faisoit toujours découvrir quelque chose de plus beau, si mon corps eût pu résister au travail. Mais comme enfin je me trouvai tout à fait amolli de lassitude, je me laissai couler sur l’herbe.

Ainsi étendu à l’ombre de ces arbres, je me sentois inviter au sommeil par la douce fraîcheur et le silence