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prouverai-je pas qu’allant contre la fin de sa création, il mérite que la nature se repente de son ouvrage ?

« La première et la plus fondamentale Loi pour la manutention d’une République, c’est l’égalité ; mais l’Homme ne la sauroit endurer éternellement : il se rue sur nous pour nous manger ; il se fait accroire que nous n’avons été faits que pour lui ; il prend, pour argument de sa supériorité prétendue, la barbarie avec laquelle il nous massacre, et le peu de résistance qu’il trouve à forcer notre foiblesse, et ne veut pas cependant avouer pour ses maîtres, les Aigles, les Condurs (202), et les Griffons, par qui les plus robustes d’entre eux sont surmontés.

« Mais pourquoi cette grandeur et disposition de membres marqueroit-elle diversité d’espèce, puisque entre eux-mêmes il se rencontre des nains et des géants ?

« Encore est-ce un droit imaginaire que cet empire dont ils se flattent ; ils sont au contraire si enclins à la servitude, que de peur de manquer à servir, ils se vendent les uns aux autres leur liberté. C’est ainsi que les jeunes sont esclaves des vieux, les pauvres des riches, les Paysans des Gentils-hommes, les Princes des Monarques, et les Monarques mêmes des Lois qu’ils ont établies. Mais avec tout cela ces pauvres serfs ont si peur de manquer de Maîtres, que comme s’ils appréhendoient que la liberté ne leur vînt de quelque endroit non attendu, ils se forgent des Dieux de toutes parts, dans l’eau, dans l’air, dans le feu, sous la terre ; ils en feront plutôt de bois, qu’ils n’en aient, et je crois même qu’ils se chatouillent des fausses espérances de l’immortalité, moins par l’horreur dont le non-être les effraye, que par la crainte qu’ils ont de n’avoir pas qui leur commande après la mort. Voilà le bel effet de cette fantastique Monarchie et de cet empire si naturel de l’Homme sur les animaux et sur nous-mêmes, car son insolence a été jusque-là. Cepen-