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en a eue, autrement il est condamné à la mort triste. »

Je ne pus m’empêcher de l’interrompre pour lui demander ce qu’elle entendoit par la mort triste, et voici ce qu’elle me répliqua :

« Quand le crime d’un coupable est jugé si énorme, que la mort est trop peu de chose pour l’expier, on tâche d’en choisir une qui contienne la douleur de plusieurs, et l’on y procède de cette façon :

« Ceux d’entre nous qui ont la voix la plus mélancolique et la plus funèbre, sont délégués vers le coupable qu’on porte sur un funeste cyprès. Là ces tristes musiciens s’amassent tout autour, et lui remplissent l’âme par l’oreille de chansons si lugubres et si tragiques, que l’amertume de son chagrin désordonnant l’économie de ses organes et lui pressant le cœur, il se consume à vue d’œil, et meurt suffoqué de tristesse.

« Toutefois un tel spectacle n’arrive guère ; car comme nos Rois sont fort doux, ils n’obligent jamais personne à vouloir pour se venger encourir une mort si cruelle.

« Celui qui règne à présent est une Colombe dont l’humeur est si pacifique, que l’autre jour qu’il falloit accorder deux Moineaux, on eut toutes les peines du monde à lui faire comprendre ce que c’étoit qu’inimitié. »

Ma Pie ne put continuer un si long discours, sans que quelques-uns des assistants y prissent garde ; et parce qu’on la soupçonnoit déjà de quelque intelligence, les principaux de l’assemblée lui firent mettre la main sur le collet par un Aigle de la Garde qui se saisit de sa personne. Le Roi Colombe arriva sur ces entrefaites ; chacun se tut, et la première chose qui rompit le silence, fut la plainte que le grand Censeur des Oiseaux dressa contre la Pie, Le Roi pleinement informé du scandale dont elle étoit cause, lui demanda son nom, et comment elle me connoissoit. « Sire, répondit-elle fort étonnée, je me