Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette raison, quoique spécieuse, n’étoit pas suffisante ; mais la plupart, ravis d’entendre que je n’étois pas Homme, furent bien aises de le croire ; car ceux qui n’en avoient jamais vu ne pouvoient se persuader qu’un homme ne fût bien plus horrible que je ne leur paroissois, et les plus sensés ajoutoient que l’Homme étoit quelque chose de si abominable, qu’il étoit utile qu’on crût que ce n’étoit qu’un être imaginaire.

De ravissement tout l’auditoire en battit des ailes, et sur l’heure on me mit pour m’examiner au pouvoir des syndics, à la charge de me représenter le lendemain, et d’en faire à l’ouverture des chambres le rapport à la Compagnie. Ils s’en chargèrent donc, et me portèrent dans un bocage reculé. Là pendant qu’ils me tinrent, ils ne s’occupèrent qu’à gesticuler autour de moi cent sortes de culbutes, à faire la procession des coques de noix sur la tête. Tantôt ils battoient des pieds l’un contre l’autre, tantôt ils creusoient de petites fosses pour les remplir, et puis j’étois tout étonné que je ne voyois plus personne.

Le jour et la nuit se passèrent à ces bagatelles, jusqu’au lendemain que l’heure prescrite étant venue, on me reporta derechef comparoître devant mes juges, où mes syndics interpellés de dire vérité, répondirent que pour la décharge de leur conscience, ils se sentoient tenus d’avertir la Cour qu’assurément je n’étois pas Singe comme je me vantois : « Car, disoient-ils, nous avons eu beau sauter, marcher, pirouetter et inventer en sa présence cent tours de passe, par lesquels nous prétendions l’émouvoir à faire de même, selon la coutume des Singes. Or quoiqu’il eût été nourri parmi les Hommes, comme le Singe est toujours Singe, nous soutenons qu’il n’eût pas été en sa puissance de s’abstenir de contrefaire nos singeries. Voilà, Messieurs, notre rapport. »

Les juges alors s’approchèrent pour venir aux opinions ;