Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/266

Cette page a été validée par deux contributeurs.

même parmi nous il s’en trouve qui entendent et parlent la vôtre. Quelques-uns, à la vérité, ne savent que celle d’une nation. Mais tout ainsi qu’il se rencontre des Oiseaux qui ne disent mot, quelques-uns qui gazouillent, d’autres qui parlent, il s’en rencontre encore de plus parfaits qui savent user de toutes sortes d’idiomes ; quant à moi j’ai l’honneur d’être de ce petit nombre.

« Au reste vous sautez qu’en quelque Monde que ce soit, Nature a imprimé aux Oiseaux une secrète envie de voler jusqu’ici, et peut-être que cette émotion de notre volonté est ce qui nous a fait croître des ailes, comme les femmes grosses produisent sur leurs enfans la figure des choses qu’elles ont désirées ; ou plutôt comme ceux qui passionnant de savoir nager ont été vus tout endormis se plonger au courant des fleuves, et franchir avec plus d’adresse qu’un expérimenté nageur, des hasards qu’étant éveillés ils n’eussent osé seulement regarder ; ou comme ce fils du Roi Crésus (195), à qui un véhément désir de parler pour garantir son père, enseigna tout d’un coup une langue ; ou bref comme cet ancien qui pressé de son ennemi et surpris sans armes, sentit croître sur son front des cornes de taureau, par le désir qu’une fureur semblable à celle de cet animal lui en inspira.

Quand donc les Oiseaux sont arrivés au Soleil, ils vont joindre la république de leur espèce. Je vois bien que vous êtes gros (196) d’apprendre qui je suis. C’est moi que parmi vous on appelle Phénix. Dans chaque Monde il n’y en a qu’un à la fois, lequel y habite durant l’espace de cent ans ; car au bout d’un siècle, quand sur quelque montagne d’Arabie il s’est déchargé d’un gros œuf au milieu des charbons de son bûcher, dont il a trié la matière de rameaux d’aloès, de cannelle et d’encens, il prend son essor, et dresse sa volée au Soleil, comme la patrie où son cœur a longtemps aspiré. Il a bien fait