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l’autre, je fus bien aise de l’accompagner, outre que les régions opaques des Oiseaux étant plus conformes à mon tempérament, j’espérois y rencontrer aussi des aventures plus correspondantes à mon humeur. Je voyageai sur cette espérance pour le moins trois semaines avec toute sorte de contentement, si je n’eusse eu que mes oreilles à satisfaire ; car le Rossignol ne me laissoit point manquer de musique ; quand il étoit las, il venoit se reposer sur mon épaule ; et, quand je m’arrêtais, il m’attendoit. À la fin j’arrivai dans une contrée du Royaume de ce petit chantre, qui alors ne se soucia plus de m’accompagner. L’ayant perdu de vue, je le cherchai, je l’appelai, mais enfin je restai si las d’avoir couru après lui vainement, que je résolus de me reposer. Pour cet effet je m’étendis sur un gazon d’herbe molle qui tapissoit les racines d’un superbe rocher. Ce rocher étoit couvert de plusieurs jeunes arbres verts et touffus, dont l’ombre charma mes sens fatigués le plus agréablement du monde, et m’obligea de les abandonner au sommeil pour réparer avec sûreté mes forces dans un lieu si tranquille et si frais[1].


Histoire des oiseaux (193).


Je commençois de m’endormir, comme j’aperçus en l’air un Oiseau merveilleux qui planoit sur ma tête ; il se soutenoit d’un mouvement si léger et si imperceptible, que je doutai plusieurs fois si ce n’étoit point encore un petit univers balancé par son propre centre. Il descendit pourtant peu à peu, et arriva enfin si proche de moi, que

  1. Var. d’un autre tirage de l’édition originale : « Ce rocher étoit couvert de plusieurs arbres, dont la gaillarde et verte fraîcheur exprimoit la jeunesse, mais, comme déjà tout amolli par les charmes du lieu, je commençois de m’endormir à l’ombre. »