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ces petits hommes se furent mis à danser, il me sembla sentir leur agitation dans moi, et mon agitation dans eux. Je ne pouvois regarder cette danse, que je ne fusse entraîné sensiblement de ma place, comme par un vortice (187) qui remuoit de son même branle, et de l’agitation particulière d’un chacun, toutes les parties de mon corps ; et je sentois épanouir sur mon visage la même joie qu’un mouvement pareil avoit étendue sur le leur. À mesure que la danse se serra, les danseurs se brouillèrent d’un trépignement beaucoup plus prompt et plus imperceptible : il sembloit que le dessein du Ballet fût de représenter un énorme Géant, car à force de s’approcher, et de redoubler la vitesse de leurs mouvemens, ils se mêlèrent de si près, que je ne discernai plus qu’un grand Colosse à jour, et quasi transparent ; mes yeux toutefois les virent entrer l’un dans l’autre. Ce fut en ce temps-là que je commençai à ne pouvoir davantage distinguer la diversité des mouvemens de chacun, à cause de leur extrême volubilité, et parce aussi que cette volubilité s’étrécissant toujours à mesure qu’elle s’approchoit du centre, chaque vortice occupa enfin si peu d’espace qu’il échappoit à ma vue. Je crois pourtant que les parties s’approchèrent encore ; car cette masse humaine auparavant démesurée, se réduisit peu à peu à former un jeune Homme de taille médiocre, dont tous les membres étoient proportionnés avec une symétrie où la perfection dans sa plus forte idée n’a jamais pu voler. Il étoit beau au delà de ce que tous les Peintres ont élevé leur fantaisie ; mais ce que je trouvai de bien merveilleux, c’est que la liaison de toutes les parties qui achevèrent ce parfait microcosme se fit en un clin d’œil. Tels d’entre les plus agiles de nos petits danseurs s’élancèrent par une cabriole à la hauteur, et dans la posture essentielle à former une tête ; tels, plus chauds et moins déliés, formèrent le cœur ;