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notre Monde, où sa force presque usée par un si long chemin, est à peine capable de transpirer son éclat aux pierres précieuses ; toutefois à cause de l’interne égalité de leurs superficies, il leur fait rejaillir à travers de leurs glaces, comme par de petits yeux, ou le vert des émeraudes, ou l’écarlate des rubis, ou le violet des améthystes, selon que les différens pores de la pierre, ou plus droits, ou plus sinueux, éteignent ou rallument par la quantité des réflexions cette lumière affaiblie. Une difficulté peut embarrasser le lecteur, à savoir comment je pouvois me voir, et ne point voir ma loge, puisque j’étois devenu diaphane aussi bien qu’elle. Je réponds à cela, que sans doute le Soleil agit autrement sur les corps qui vivent que sur les inanimés, puisque aucun endroit, ni de ma chair, ni de mes os, ni de mes entrailles, quoique transparens, n’avoit perdu sa couleur naturelle ; au contraire, mes poumons conservoient encore sous un rouge incarnat leur molle délicatesse ; mon cœur toujours vermeil, balançoit aisément entre le sistole et le diastole ; mon foie sembloit brûler dans un pourpre de feu, et cuisant l’air que je respirois, continuait la circulation du sang (182) ; enfin je me voyois, me touchois, me sentais le même, et si pourtant je ne l’étois plus.

Pendant que je considérois cette métamorphose, mon voyage s’accourcissoit toujours, mais pour lors avec beaucoup de lenteur, à cause de la sérénité de l’éther qui se raréfioit à proportion que je m’approchois de la source du jour ; car comme la matière en cet étage est fort déliée pour le grand vide dont elle est pleine, et que cette matière est par conséquent fort paresseuse à cause du vide qui n’a point d’action, cet air ne pouvoit produire en passant par le trou de ma boîte, qu’un petit vent à peine capable de la soutenir.

Je ne réfléchis jamais au malicieux caprice de la For-