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Je la tirai de l’eau, remis en état ce qui étoit froissé ; puis après l’avoir embrassée de toute ma force, je la portai sur le sommet d’un coteau qui se rencontra tout proche. Là je développai ma chemise d’alentour du vase, mais je ne la pus vêtir, parce que mes miroirs commençant leur effet, j’aperçus ma cabane qui frétilloit déjà pour voler. Je n’eus le loisir que d’entrer vitement dedans, où je m’enfermai comme la première fois.

La sphère de notre Monde ne me paroissoit plus qu’un astre à peu près de la grandeur que nous paroît la Lune ; encore il s’étrécissoit, à mesure que je montois, jusqu’à devenir une étoile, puis une bluette, et puis rien, d’autant que ce point lumineux s’aiguisa si fort pour s’égaler à celui qui termine le dernier rayon de ma vue, qu’enfin elle le laissa s’unir à la couleur des Cieux. Quelqu’un peut-être s’étonnera que pendant un si long voyage, le sommeil ne m’ait point accablé, mais comme le sommeil n’est produit que par la douce exhalaison des viandes qui s’évaporent de l’estomac au cerveau, ou par un besoin que sent Nature de lier notre âme, pour réparer pendant le repos autant d’esprits que le travail en a consommés, je n’avois garde de dormir, vu que je ne mangeois pas, et que le soleil me restituoit beaucoup plus de chaleur radicale que je n’en dissipois. Cependant mon élévation continuoit, et à mesure qu’elle m’approchoit de ce Monde enflammé, je sentois couler dans mon sang une certaine joie qui le rectifioit, et passoit jusqu’à l’âme. De temps en temps je regardois en haut pour admirer la vivacité des nuances qui rayonnoient dans mon petit dôme de cristal, et j’ai la mémoire encore présente, que je pointais alors mes yeux dans le bocal du vase, comme voici que tout en sursaut je sens je ne sais quoi de lourd qui s’envole de toutes les parties de mon corps. Un tourbillon de fumée fort épaisse et quasi