Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et que cette secousse étoit déjà l’effort des tranchées de l’accouchement. Il me quitta aussitôt pour y courir, et moi j’allai rechercher ma cabane (180).

Je regrimpai donc la montagne que j’avois descendue, au sommet de laquelle je parvins avec beaucoup de lassitude. Vous pouvez croire combien je fus en peine quand je ne trouvai plus ma machine où je l’avois laissée. J’en soupirois déjà la perte, quand je l’aperçus fort loin qui voltigeoit. Autant que mes jambes purent fournir, j’y courus à perte d’haleine, et certes c’étoit un passetemps agréable de contempler cette nouvelle façon d’aller à la chasse ; car quelquefois que j’avois presque la main dessus, il survenoit dans la boule de verre une légère augmentation de chaleur, qui tirant l’air avec plus de force, et cet air devenu plus roide enlevant ma boîte au-dessus de moi, me faisoit sauter après comme un chat au croc où il voit pendre un lièvre. Sans que ma chemise étoit demeurée sur le chapiteau pour s’opposer à la force des miroirs, elle eût fait le voyage toute seule.

Mais à quoi bon me rafraîchir la mémoire d’une aventure dont je ne saurois me souvenir qu’avec la même douleur que je ressentis alors ? Il suffira de savoir qu’elle bondit, courut, et vola tant et que je sautai, je marchai et j’arpentai tant, qu’enfin je la vis choir au pied d’une fort haute montagne. Elle m’eût mené possible encore plus loin, si de cette orgueilleuse enflure de la terre, les ombres, qui noircissoient le Ciel bien avant sur la plaine, n’eussent répandu tout autour une nuit de demi-lieue ; car se rencontrant parmi ces ténèbres, son verre n’en eut pas plutôt senti la fraîcheur, qu’il ne s’y engendra plus de vide, plus de vent par le trou, et conséquemment plus d’impulsion qui la soutînt ; de sorte qu’elle chut, et se fût brisée en mille éclats, si par bonheur une mare où elle tomba n’eût plié sous le faix.