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plus un idiome s’éloignoit de ce Vrai, plus il se rencontroit au-dessous de la conception et de moins facile intelligence. « De même, continuoit-il, dans la Musique ce Vrai ne se rencontre jamais, que l’âme aussitôt soulevée ne s’y porte aveuglement. Nous ne le voyons pas, mais nous sentons que Nature le voit ; et sans pouvoir comprendre en quelle sorte nous en sommes absorbés, il ne laisse pas de nous ravir, et si, nous ne saurions remarquer où il est (178). Il en va des langues tout de même. Qui rencontre cette vérité de lettres, de mots, et de suite, ne peut jamais en s’exprimant tomber au-dessous de sa conception : il parle toujours égal à sa pensée ; et c’est pour n’avoir pas la connoissance de ce parfait idiome que vous demeurez court, ne connoissant pas l’ordre ni les paroles qui puissent expliquer ce que vous imaginez. » Je lui dis que le premier homme de notre Monde s’étoit indubitablement servi de cette langue matrice, parce que chaque nom qu’il avoit imposé à chaque chose, déclaroit son essence. Il m’interrompit, et continua : « Elle n’est pas simplement nécessaire pour exprimer tout ce que l’esprit conçoit, mais sans elle on ne peut pas être entendu de tous. Comme cet idiome est l’instinct ou la voix de la Nature, il doit être intelligible à tout ce qui vit sous le ressort de Nature, c’est pourquoi si vous en aviez l’intelligence, vous pourriez communiquer et discourir de toutes vos pensées aux bêtes, et les bêtes à vous de toutes les leurs, à cause que c’est le langage même de la Nature, par qui elle se fait entendre à tous les animaux.

« Que la facilité donc avec laquelle vous entendez le sens d’une langue qui ne sonna jamais à votre ouïe ne vous étonne plus. Quand je parle votre âme rencontre, dans chacun de mes mots, ce Vrai qu’elle cherche à tâtons ; et quoique sa raison ne l’entende pas, elle a chez soi Nature qui ne sauroit manquer de l’entendre.