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le bois, dont la substance est plus compacte, il entre plus durement ; et dans le fer, dont la masse est presque tout à fait solide, et liée de parties angulaires, il pénètre et consume ce qu’on y jette en un tournemain. Toutes ces observations étant si familières, on ne s’étonnera point que j’approchasse du Soleil sans être brûlé, puisque ce qui brûle n’est pas le feu, mais la matière où il est attaché ; et que le feu du Soleil ne peut être mêlé d’aucune matière. N’expérimentons-nous pas même que la joie, qui est un feu, pource qu’il ne remue qu’un sang aérien dont les particules fort déliées glissent doucement contre les membranes de notre chair, chatouille et fait naître je ne sais quelle aveugle volupté ? et que cette volupté, ou pour mieux dire ce premier progrès de douleur, n’arrivant pas jusqu’à menacer l’animal de mort, mais jusqu’à lui faire sentir que l’envie[1] cause un mouvement à nos esprits que nous appelons joie ? Ce n’est pas que la fièvre, encore qu’elle ait des accidens tout contraires, ne soit un feu aussi bien que la joie, mais c’est un feu enveloppé dans un corps, dont les grains sont cornus, tel qu’est la bile âtre  (171), ou la mélancolie, qui venant à darder ses pointes crochues partout où sa nature mobile le promène, perce, coupe, écorche, et produit par cette agitation violente ce qu’on appelle ardeur de fièvre  (172). Mais cette enchaînure de preuves est fort inutile ; les expériences les plus vulgaires suffisent pour convaincre les aheurtés  (173). Je n’ai pas de temps à perdre, il faut penser à moi. Je suis à l’exemple de Phaéton, au milieu d’une carrière où je ne saurois rebrousser, et dans laquelle si je fais un faux pas, toute la Nature ensemble n’est point capable de me secourir.

  1. Var. d’un autre tirage de l’éd. originale : par un instinct naturel sa bonne constitution.