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nous irons essayer d’en faire de meilleurs à Cussan. — Allons-y donc, me dit le Comte, puisque ce trouble-fête en a tant envie. » Nous délibérâmes de partir le jour même. Je les suppliai de se mettre donc en chemin devant, parce que j’étois bien aise (ayant, comme ils venoient de conclure, à y séjourner un mois) d’y faire porter quelques livres. Ils en tombèrent d’accord, et aussitôt après déjeuner, mirent le cul sur la selle. Ma foi ! cependant je fis un ballot des volumes que je m’imaginai n’être pas à la Bibliothèque de Cussan, dont je chargeai un mulet ; et je sortis environ sur les trois heures, monté sur un très bon coureur. Je n’allois pourtant qu’au pas, afin d’accompagner ma petite bibliothèque, et pour enrichir mon âme avec plus de loisir des libéralités de ma vue. Mais écoutez une aventure qui vous surprendra :

J’avois avancé plus de quatre lieues, quand je me trouvai dans une Contrée que je pensois indubitablement avoir vue autre part. En effet je sollicitai tant ma mémoire de me dire d’où je connoissois ce Paysage, que la présence des objets excitant les images, je me souvins que c’étoit justement le lieu que j’avois vu en songe la nuit passée. Ce rencontre (149) bizarre eût occupé mon attention plus de temps qu’il ne l’occupa, sans une étrange apparition par qui j’en fus réveillé. Un Spectre (au moins je le pris pour tel), se présentant à moi au milieu du chemin, saisit mon cheval par la bride. La taille de ce Fantôme étoit énorme, et par le peu qui paraissoit de ses yeux, il avoit le regard triste et rude. Je ne saurois pourtant dire s’il étoit beau ou laid, car une longue robe tissue des feuillets d’un livre de plainchant, le couvroit jusqu’aux ongles, et son visage étoit caché d’une carte où l’on avoit écrit l’in principio (150). Les premières paroles que le Fantôme proféra : « Satanus Diabolas (151) ! cria-t-il tout épouvanté, je te conjure par