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ne pas s’en aller sans moi ; quand une infinité de petits Anges tout ronds qui se disoient enfans de l’Aurore, m’ont enlevé au même pays, vers lequel il paraissoit voler, et m’ont fait voir des choses que je ne vous raconterai point, parce que je les tiens trop ridicules. » Nous le suppliâmes de ne pas laisser de nous les dire. « Je me suis imaginé, continua-t-il, être dans le Soleil, et que le Soleil étoit un monde. Je n’en serois pas même encore désabusé, sans le hennissement de mon barbe, qui me réveillant, m’a fait voir que j’étois dans mon lit. » Quand le Marquis connut que Colignac avoit achevé : « Et vous, dit-il, monsieur Dyrcona (148), quel a été le vôtre ? — Pour le mien, répondis-je, encore qu’il ne soit pas des vulgaires, je le mets en compte de rien. Je suis bilieux, mélancolique ; c’est la cause pourquoi depuis que je suis au monde, mes songes m’ont sans cesse représenté des cavernes et du feu. Dans mon plus bel âge il me sembloit en dormant que, devenu léger, je m’enlevois jusqu’aux nues, pour éviter la rage d’une troupe d’assassins qui me poursuivoient ; mais qu’au bout d’un effort fort long et fort vigoureux, il se rencontroit toujours quelque muraille, après avoir volé par dessus beaucoup d’autres, au pied de laquelle accablé de travail, je ne manquois point d’être arrêté. Ou bien si je m’imaginois prendre ma volée droit en haut, encore que j’eusse avec les bras nagé fort longtemps dans le Ciel, je ne laissois pas de me rencontrer toujours proche de terre ; et contre toute raison sans qu’il me semblât être devenu ni las ni lourd, mes ennemis ne faisoient qu’étendre la main, pour me saisir par le pied, et m’attirer à eux. Je n’ai guère eu que des songes semblables à celui-là, depuis que je me connois ; hormis que cette nuit après avoir longtemps volé comme de coutume, et m’être plusieurs fois échappé de mes persécuteurs, il m’a semblé qu’à la fin je les ai