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cevoir, et pour être plus succinct, considérons-la seulement dans l’harmonie d’un luth touché par les mains d’un maître de l’art. Vous me demanderez comme il se peut faire que j’aperçoive si loin de moi une chose que je ne vois point ? Est-ce qu’il sort de mes oreilles une éponge qui boit cette musique pour me la rapporter ? ou ce joueur engendre-t-il dans ma tête un autre petit joueur avec un petit luth, qui ait ordre de me chanter comme un écho les mêmes airs ? Non ; mais ce miracle procède de ce que la corde tirée venant à frapper des petits corps dont l’air est composé, elle le chasse dans mon cerveau, le perçant doucement avec ces petits riens corporels ; et selon que la corde est bandée, le son est haut, à cause qu’elle pousse les atomes plus vigoureusement ; et l’organe ainsi pénétré, en fournit à la fantaisie de quoi faire son tableau (117) ; si trop peu, il arrive que notre mémoire n’ayant pas encore achevé son image, nous sommes contraints de lui répéter le même son, afin que des matériaux que lui fournissent, par exemple, les mesures d’une sarabande, elle en prenne assez pour achever le portrait de cette sarabande. Mais cette opération n’a rien de si merveilleux que les autres, par lesquelles à l’aide du même organe nous sommes émus tantôt à la joie, tantôt à la colère. Et cela se fait lorsque dans ce mouvement ces petits corps en rencontrent d’autres en nous remués de même façon, ou que leur propre figure rend susceptibles du même ébranlement ; car alors les nouveaux venus excitent leurs hôtes à se remuer comme eux ; et de cette façon lorsqu’un air violent rencontre le feu de notre sang, il le fait incliner au même branle, et il l’anime à se pousser dehors : c’est ce que nous appelons « ardeur de courage ». Si le son est plus doux, et qu’il n’ait la force de soulever qu’une moindre flamme plus ébranlée, en la promenant le long