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communiqué de ces grandes pensées ? Mais, dites-moi, que vous ont jamais enseigné les Anges non plus qu’eux ? Comme il n’y a point de proportion, de rapport ni d’harmonie entre les facultés imbéciles de l’homme et celles de ces divines créatures, ces choux intellectuels auroient beau s’efforcer de nous faire comprendre la cause occulte de tous les événements merveilleux, il nous manque des sens capables de recevoir ces hautes espèces.

« Moïse, le plus grand de tous les Philosophes, et qui puisoit la connoissance de la Nature dans la source de la Nature même, signifioit cette vérité, lorsqu’il parloit de l’Arbre de Science, et il vouloit sans doute nous enseigner sous cette énigme que les plantes possèdent privativement à nous la Philosophie parfaite. Souvenez-vous donc, ô de tous les animaux le plus superbe ! qu’encore qu’un chou que vous coupez ne dise mot, il n’en pense pas moins. Mais le pauvre végétant n’a pas des organes propres à hurler comme vous ; il n’en a pas pour frétiller ni pour pleurer ; il en a toutefois par lesquels il se plaint du tort que vous lui faites, et par lesquels il attire sur vous la vengeance du Ciel. Que si enfin vous insistez à me demander comment je sais que les choux ont ces belles pensées, je vous demande comment vous savez qu’ils ne les ont point, et que tel d’entre eux à votre imitation ne dise pas le soir en s’enfermant : « Je suis, monsieur le Chou Frisé, votre très-humble serviteur, Chou Cabus. »

Il en étoit là de son discours, quand ce jeune garçon qui avoit emmené notre Philosophe le ramena. « Hé ! quoi, déjà dîné ? » lui cria mon Démon. Il répondit que oui, à l’issue (98) près, d’autant que le Physionome lui avoit permis de tâter de la nôtre. Le jeune hôte n’attendit pas que je lui demandasse l’explication de ce mystère : « Je vois bien, dit-il, que cette façon de vivre vous