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crime de se gratter, à cause de l’agréable douleur qu’on y sent ; avec tout cela, j’ai remarqué que la prévoyante Nature a fait pencher tous les grands personnages, et vaillans et spirituels, aux délicatesses de l’Amour, témoin Samson, David, Hercule, César, Annibal, Charlemagne, étoit-ce afin qu’ils se moissonnassent l’organe de ce plaisir d’un coup de serpe ? Hélas, elle alla jusque sous un cuvier [à] débaucher Diogène maigre, laid, et poüilleux, et le contraindre de composer du vent dont il souffloit les carottes (96) des soupirs à Lays. Sans doute elle en usa de la sorte pour l’appréhension qu’elle eût que les honnêtes gens ne manquassent au Monde. Concluons de là que votre père étoit obligé en conscience de vous lâcher à la lumière, et quand il penseroit vous avoir beaucoup obligé de vous faire en se chatouillant, il ne vous a donné au fond que ce qu’un taureau banal donne aux vaches tous les jours dix fois pour se réjouir.

— Vous avez tort, interrompit alors mon Démon, de vouloir régenter la sagesse de Dieu. Il est vrai qu’il nous a défendu l’excès de ce plaisir, mais que savez-vous s’il ne l’a point ainsi voulu afin que les difficultés que nous trouverions à combattre cette passion notes fît mériter la gloire qu’il nous prépare ? Mais que savez-vous si ce n’a point été pour aiguiser l’appétit par la défense ? Mais que savez-vous s’il ne prévoyoit point qu’abandonnant la jeunesse aux impétuosités de la chair, le coït trop fréquent énerveroit leur semence et marqueroit la fin du Monde aux arrière-neveux du premier homme ? Mais que savez-vous s’il ne voulut point empêcher que la fertilité de la terre ne manquai aux besoins de tant d’affamés ? Enfin que savez-vous s’il ne l’a point voulu faire contre toute apparence de raison afin de récompenser justement ceux qui, contre toute apparence de raison, se seront fiés en sa parole ? »