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qu’il redevienne également droit entre les deux contorsions. Ainsi j’ai fait restituer aux pères la tyrannique déférence qu’ils avoient usurpée, leur en ôtant beaucoup qui leur appartenoit, afin qu’une autre fois ils se contentassent du leur. Je sais bien encore que j’ai choqué, par cette apologie, tous les vieillards ; mais qu’ils se souviennent qu’ils ont été enfans avant que d’être pères, et qu’il est impossible que je n’aie parlé fort à leur avantage, puisqu’ils n’ont pas été trouvés sous une pomme de chou. Mais enfin quoi qu’il en puisse arriver, quand mes ennemis se mettroient en bataille contre mes amis, je n’aurai que du bon, car j’ai servi tous les hommes, et je n’en ai desservi que la moitié. »

À ces mots il se tut, et le fils de notre hôte prit ainsi la parole : « Permettez-moi, lui dit-il, puisque je suis informé par votre soin, de l’Origine, de l’Histoire, des Coutumes, et de la Philosophie du Monde de ce petit homme, que j’ajoute quelque chose à ce que vous avez dit, et que je prouve que les enfans ne sont point obligés à leurs pères de leur génération, parce que leurs pères étoient obligés en conscience de les engendrer.

« La Philosophie de leur Monde la plus étroite confesse qu’il est plus avantageux de mourir, à cause que pour mourir il faut avoir vécu, que de n’être point. Or puisqu’en ne donnant pas l’être à ce rien, je le mets en un état pire que la mort, je suis plus coupable de ne le pas produire que de le tuer. Tu croirois cependant, ô mon petit homme, avoir fait un parricide indigne de pardon, si tu avois égorgé ton fils ; il seroit énorme à la vérité, mais il est bien plus exécrable de ne pas donner l’être à qui le peut recevoir ; car cet enfant, à qui tu ôtes la lumière pour toujours, eût eu la satisfaction d’en jouir quelque temps. Encore nous savons qu’il n’en est privé que pour quelques siècles ; mais ces pauvres quarante