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hardiesse tend à sa destruction. Et à propos de cela, je vous dirai qu’il y a quelques années qu’on fit une remontrance au Conseil de guerre, pour apporter un règlement plus circonspect et plus consciencieux dans les combats. Et le Philosophe qui donnoit l’avis parla ainsi :

« Vous vous imaginez, Messieurs, avoir bien égalé les avantages de deux ennemis, quand vous les avez choisis tous deux grands, tous deux adroits, tous deux pleins de courage ; mais ce n’est pas encore assez, puisqu’il faut qu’enfin le vainqueur surmonte par adresse, par force, et par fortune. Si ça été par adresse, il a frappé sans doute son adversaire par un endroit où il ne l’attendoit pas, ou plus vite qu’il n’étoit vraisemblable ; ou feignant de l’attraper d’un côté, il l’a assailli de l’autre. Cependant tout cela c’est affiner, c’est tromper, c’est trahir, et la tromperie et la trahison ne doivent pas faire l’estime d’un véritable généreux (90). S’il a triomphé par force, estimerez-vous son ennemi vaincu, puisqu’il a été violenté ? Non, sans doute, non plus que vous ne direz pas qu’un homme ait perdu la victoire, encore qu’il soit accablé de la chute d’une montagne, parce qu’il n’a pas été en puissance de la gagner. Tout de même celui-là n’a point été surmonté, à cause qu’il ne s’est point trouvé dans ce moment disposé à pouvoir résister aux violences de son adversaire. Si ça été par hasard qu’il a terrassé son ennemi, c’est la Fortune et non pas lui qu’on doit couronner : il n’y a rien contribué ; et enfin le vaincu n’est non plus blâmable que le joueur de dés, qui sur dix-sept points en voit faire dix-huit. »

On lui confessa qu’il avoit raison ; mais qu’il étoit impossible, selon les apparences humaines, d’y mettre ordre, et qu’il valoit mieux subir un petit inconvénient,