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couard. Après la bataille donnée on compte les blessés, les morts, les prisonniers ; car pour les fuyards il ne s’en trouve point ; si les pertes se trouvent égales de part et d’autre, ils tirent à la courte paille à qui se proclamera victorieux.

« Mais encore qu’un royaume eût défait son ennemi de bonne guerre, ce n’est presque rien avancé, car il y a d’autres armées peu nombreuses de savans et d’hommes d’esprit, des disputes desquelles dépend entièrement le triomphe ou la servitude des États (87).

« Un savant est opposé à un autre savant, un esprité à un autre esprité, et un judicieux à un autre judicieux. Au reste le triomphe que remporte un État en cette façon est compté pour trois victoires à force ouverte. Après la proclamation de la victoire on rompt l’assemblée, et le peuple vainqueur choisit pour être son Roi, ou celui des ennemis, ou le sien. »

« Je ne pus m’empêcher de rire de cette façon scrupuleuse de donner des batailles ; et j’alléguois pour exemple d’une bien plus forte politique les coutumes de notre Europe, où le Monarque n’avoit garde d’omettre aucun de ses avantages pour vaincre ; et voici comme elle me parla :

« Apprenez-moi, me dit-elle, si vos Princes ne prétextent pas leurs armemens du droit de force ? — Si fait, lui répliquai-je, et de la justice de leur cause. — Pourquoi donc, continua-t-elle, ne choisissent-ils des arbitres non suspects pour être accordés ? Et s’il se trouve qu’ils aient autant de droit l’un que l’autre, qu’ils demeurent comme ils étoient, ou qu’ils jouent en un coup de piquet la Ville ou la Province dont ils sont en dispute ? Et cependant qu’ils font casser la tête à plus de quatre millions d’hommes qui valent mieux qu’eux, ils sont dans leur cabinet à goguenarder sur les circonstances du massacre