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l’anathème et de l’excommunication des Prophètes qui tâchoient par là d’épouvanter le peuple, ceux qui tenoient pour moi demandèrent une assemblée des États, pour résoudre cet accroc de religion. On fut longtemps à s’accorder sur le choix de ceux qui opineroient ; mais les arbitres pacifièrent l’animosité par le nombre des intéressés qu’ils égalèrent, et qui ordonnèrent qu’on me porteroit dans l’assemblée comme on fit ; mais j’y fus traité autant sévèrement qu’on se le peut imaginer. Les Examinateurs m’interrogèrent entre autres choses de Philosophie : je leur exposai tout à la bonne foi ce que jadis mon Régent m’en avoit appris, mais ils ne mirent guère à me le réfuter par beaucoup de raisons convaincantes à la vérité. Quand je me vis tout à fait convaincu, j’alléguai pour dernier refuge les principes d’Aristote qui ne me servirent pas davantage que les sophismes ; car en deux mots ils m’en découvrirent la fausseté. « Cet Aristote, me dirent-ils, dont vous vantez si fort la science, accommodoit sans doute les principes à sa Philosophie, au lieu d’accommoder sa Philosophie aux principes, et encore devoit-il les prouver au moins plus raisonnables que ceux des autres Sectes, ce qu’il n’a pu faire. C’est pourquoi le bon seigneur ne trouvera pas mauvais si nous lui baisons les mains. » Enfin comme ils virent que je ne clabaubois autre chose, sinon qu’ils n’étoient pas plus savans qu’Aristote, et qu’on m’avoit défendu de discuter contre ceux qui nioient les principes, ils conclurent tous d’une commune voix, que je n’étois pas un homme, mais possible quelque espèce d’autruche, vu que je portois comme elle la tête droite, que je marchois sur deux pieds, et qu’enfin, hormis un peu de duvet, je lui étois tout semblable ; si bien qu’on ordonna à l’Oiseleur de me reporter en cage. J’y passois mon temps avec assez de plaisir, car à cause de leur langue que je possédois