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aussitôt par tout le royaume qu’on avoit trouvé deux hommes sauvages, plus petits que les autres, à cause des mauvaises nourritures que la solitude nous avoit fournies, et qui par un défaut de la semence de leurs pères n’avoient pas eu les jambes de devant assez fortes pour s’appuyer dessus.

Cette créance alloit prendre racine à force de cheminer, sans les Prêtres du pays qui s’y opposèrent, disant que c’étoit une impiété épouvantable de croire que non seulement des bêtes, mais des monstres, fussent de leur espèce. « Il y auroit bien plus d’apparence, ajoutoient les moins passionnés, que nos animaux domestiques participassent au privilège de l’humanité de l’immortalité (85), par conséquent à cause qu’ils sont nés dans notre pays, qu’une bête monstrueuse qui se dit née je ne sais où dans la Lune ; et puis considérez la différence qui se remarque entre nous et eux. Nous autres marchons à quatre pieds, parce que Dieu ne se voulut pas fier d’une chose si précieuse à une moins ferme assiette, et il eut peur qu’allant autrement il n’arrivât fortune de l’homme ; c’est pourquoi il prit la peine de l’asseoir sur quatre piliers, afin qu’il ne pût tomber ; mais dédaignant de se mêler de la construction de ces deux brutes, il les abandonna au caprice de la Nature, laquelle, ne craignant pas la perte de si peu de chose, ne les appuya que sur deux pattes.

« Les oiseaux mêmes, disoient-ils, n’ont pas été si maltraités qu’elles, car au moins ils ont reçu des plumes pour subvenir à la faiblesse de leurs pieds, et se jeter en l’air quand nous les éconduirons de chez nous ; au lieu que la Nature en ôtant les deux pieds à ces monstres les a mis en état de ne pouvoir échapper à notre Justice.

« Voyez un peu outre cela comment ils ont la tête tournée devers le ciel (86) ! C’est la disette où Dieu les a mis de toutes choses qui les a situés de la sorte, car cette