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me dit voyant que je paroissois étonné de cette magnificence, que c’étoient les lits du pays. Enfin nous nous couchâmes chacun dans notre cellule ; et dès que je fus étendu sur mes fleurs, j’aperçus, à la lueur d’une trentaine de gros vers luisans enfermés dans un cristal (car on ne sert point d’autres chandelles) ces trois ou quatre jeunes garçons qui m’a voient déshabillé au souper, dont l’un se mit à me chatouiller les pieds, l’autre les cuisses, l’autre les flancs, l’autre les bras, et tous avec tant de mignoteries et de délicatesse, qu’en moins d’un moment je me sentis assoupir.

Je vis entrer le lendemain mon Démon avec le soleil. « Et je vous veux tenir parole, me dit-il ; vous déjeunerez plus solidement que vous ne soupâtes hier. » À ces mots je me levai, et il me conduisit, par la main derrière le jardin du logis, où l’un des enfants de l’Hôte nous attendoit avec une arme à la main, presque semblable à nos fusils. Il demanda à mon guide si je voulois une douzaine d’alouettes, parce que les magots (69) (il croyoit que j’en fusse un) se nourrissoient de cette viande. À peine eus-je répondu qu’oui, que le Chasseur déchargea un coup de feu, et vingt ou trente alouettes tombèrent à nos pieds toutes rôties. « Voilà, m’imaginai-je aussitôt, ce qu’on dit par proverbe en notre monde d’un pays où le alouettes tombent toutes rôties ! » Sans doute que quelqu’un étoit revenu d’ici. « Vous n’avez qu’à manger, me dit mon Démon ; ils ont l’industrie de mêler parmi leur poudre et leur plomb une certaine composition qui tue, plume, rôtit, et assaisonne le gibier. » J’en ramassai quelques-unes, dont je mangeai sur sa parole, et en vérité je n’ai jamais en ma vie rien goûté de si délicieux. Après ce déjeuner nous nous mîmes en état de partir, et avec mille grimaces dont ils se servent quand ils veulent témoigner de l’affection, l’hôte reçut un papier de mon