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ses merveilleux entretiens me faisoient passer sans ennui les violences de ma captivité. Enfin un matin je vis entrer dans ma logette un homme que je ne connoissois point, et qui m’ayant fort longtemps léché me gueula doucement par l’aisselle, et de l’une des pattes dont il me soutenoit de peur que je ne me blessasse, me jeta sur son dos, où je me trouvai si mollement et si à mon aise, qu’avec l’affliction que me faisoit sentir un traitement de bête, il ne me prit aucune envie de me sauver, et puis ces hommes qui marchent à quatre pieds vont bien d’une autre vitesse que nous, puisque les plus pesans attrappent les cerfs à la course.

Je m’affligeois cependant outre mesure de n’avoir point de nouvelles de mon courtois Démon, et le soir de la première traite, arrivé que je fus au gîte, je me promenois dans la cour de l’hôtellerie, attendant que le manger fût prêt, lorsqu’un homme fort jeune et assez beau me vint rire au nez, et jeter à mon cou ses deux pieds de devant. Après que je l’eus quelque temps considéré : « Quoi ? me dit-il en françois, vous ne connoissez plus votre ami ? » Je vous laisse à penser ce que je devins alors. Certes ma surprise fut si grande, que dès lors je m’imaginai que tout le globe de la Lune, tout ce qui m’y étoit arrivé, et tout ce que j’y voyois, n’étoit qu’enchantement ; et cet homme-bête étant le même qui m’avoit servi de monture continua de me parler ainsi : « Vous m’aviez promis que les bons offices que je vous rendrois ne vous sortiroient jamais de la mémoire, et cependant il semble que vous ne m’ayez jamais vu ! » Mais voyant que je demeurois dans mon étonnement : « Enfin, ajouta-t-il, je suis ce Démon de Socrate. » Ce discours augmenta mon étonnement ; mais pour m’en tirer il me dit : « Je suis le Démon de Socrate qui vous ai diverti pendant votre prison, et qui pour vous continuer mes