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vogue hors du Monde. Les animaux suivirent son exemple, car la plupart des oiseaux qui se sentirent l’aile assez forte pour risquer le voyage, impatiens de la première prison dont on eût encore arrêté leur liberté, donnèrent jusque-là. Des quadrupèdes mêmes, les plus courageux, se mirent à la nage. Il en étoit sorti près de mille, avant que les fils de Noé puissent fermer les étables que la foule des animaux qui s’échappoient tenoit ouvertes. La plupart abordèrent ce nouveau Monde. Pour l’esquif, il alla donner contre un coteau fort agréable où la généreuse Achab descendit, et, joyeuse d’avoir connu qu’en effet cette Terre-là étoit la Lune, ne voulut point se rembarquer pour rejoindre ses frères. Elle s’habitua quelque temps dans une grotte, et comme un jour elle se promenoit, balançant si elle seroit fâchée d’avoir perdu la compagnie des siens ou si elle en seroit bien aise, elle aperçut un homme qui abattoit du gland. La joie d’une telle rencontre la fit voler aux embrassemens ; elle en reçut de réciproques, car il y avoit encore plus longtemps que le vieillard n’avoit vu de visage humain. C’étoit Énoc le Juste. Ils vécurent ensemble, et sans que le naturel impie de ses enfans, et l’orgueil de sa femme, l’obligeât de se retirer dans les bois, ils auroient achevé ensemble de filer leurs jours avec toute la douceur dont Dieu bénit le mariage des Justes. Là, tous les jours, dans les retraites les plus sauvages de ces affreuses solitudes, ce bon vieillard offroit à Dieu d’un esprit épuré, son cœur en holocauste, quand de l’Arbre de Science que vous savez qui est en ce jardin, un jour étant tombée une pomme dans la rivière au bord de laquelle il est planté, elle fut portée à la merci des vagues hors le Paradis, en un lieu où le pauvre Énoc, pour sustenter sa vie, prenoit du poisson à la pêche. Ce beau fruit fut arrêté dans le filet, il le mangea. Aussitôt il connut où étoit le Paradis Terrestre, et par des