Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deſcription d’un Cyprés, mais je ne l’ay qu’ébauchée, à cauſe qu’il eſt ſi pointu, que l’eſprit meſme ne ſçauroit s’y aſſeoir ; ſa couleur & ſa figure me font ſouvenir d’un Lezard renverſé qui pique le Ciel en mordant la terre. Si entre les Arbres il y a comme entre les Hommes, difference de mêtiers, à voir celuy-cy chargé d’alaînes au lieu de feüilles, je croy qu’il eſt le Cordonnier des Arbres. Je n’oſe quaſi pas même approcher mon imagination de ſes éguilles, de peur de me piquer de trop écrire ; de vingt mille lances il n’en fait qu’une ſans les unir ; On diroit d’une fléche que l’Univers revolté darde contre le Ciel, ou d’un grand clou dont la Nature attache l’empire des vivans à celuy des morts ; cét Obeliſque, cét Arbre dragon, dont la queuë eſt à la teſte, me ſemble une Pyramide bien plus commode que celle de Mauſolée ; car au lieu qu’on portoit les Trépaſſez dans celle-là, on porte celle-cy à l’enterrement des Trépaſſez ; mais je prophane l’avanture du jeune Cypariſſe, les amours d’Apollon, de luy faire joüer des perſonnages indignes de luy dans le monument : ce pauvre metamorphoſé ſe ſouvient encore du Soleil, il créve ſa ſepulture & s’éguiſe en montant afin de per-