Page:Cuvier - Recueil des éloges historiques vol 1.djvu/79

Cette page n’a pas encore été corrigée

seul, il serait resté dans le cercle des anatomistes et des naturalistes, qui l'auraient apprécié à sa juste valeur, et, leur suffrage déterminant celui de la multitude, celle-ci aurait respecté l'auteur sur parole, comme ces dieux inconnus d'autant plus révérés que leur sanctuaire est plus impénétrable. Mais, marchant a coté de l'ouvrage de son brillant émule, celui de Daubenton fut entraîné sur la toilette des femmes et dans le cabinet des littérateurs ; la comparaison de son style mesuré et de sa marche circonspecte avec la poésie vive et les écarts hardis de son rival, ne pouvait être à son avantage ; et les détails minutieux de dimensions et de descriptions dans lesquels il entrait ne pouvaient racheter auprès de pareils juges l'ennui dont ils étaient nécessairement accompagnés.

Ainsi, lorsque tous les naturalistes de l'Europe recevaient avec une reconnaissance mêlée d'admiration les résultats des immenses travaux de Daubenton, lorsqu'ils donnaient à l'ouvrage qui les contenait, et par cela seulement qu'il les contenait, les noms d'ouvrage d'or, d'ouvrage vraiment classique[1], on chansonnait l'auteur à Paris ; et quelques-uns de ces flatteurs qui rampent devant la renommée comme devant la puissance, parce que la renommée est aussi une puissance, parvinrent à faire croire à Buffon qu'il gagnerait à se débarrasser de ce collaborateur importun. On a même entendu depuis le secrétaire d'une illustre académie assurer que les naturalistes seuls purent regretter qu'il eût suivi ce conseil.

  1. Voyez Pallas, Glires ct Spicilegia zoologica.