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sans talents, comme le plus méprisable est celui de l'homme de lettres sans courage.

Mais ceux qui ont vraiment reçu de la nature la noble destination d'éclairer leurs semblables, sentent leurs forces, et c'est à la fois une sûre pierre de touche des deux qualités que cette destination suppose, quand ce charme ineffable qu'on éprouve à la recherche de la vérité fait mépriser l'indigence et l'abandon momentané des hommes. Darcet subit complètement cette terrible épreuve. Son père lui refusa toute espèce de secours, et transporta son droit d'aînesse aux enfants d'un second lit ; en sorte qu'il se trouva bientôt dans une détresse si profonde, qu'il fut obligé, pour vivre, de donner des leçons de latin aux enfants d'un savetier.

Heureusement pour lui et pour les sciences, un de ses camarades d'études, Roux, connu depuis à Paris comme professeur de chimie aux écoles de médecine, approchait du célèbre Montesquieu : il lui fit part de la situation de Darcet, et l'engagea à se le faire amener. Le président, voyant un jeune homme spirituel, instruit, modeste, et qui ne paraissait pas né pour cette infortune, prit à lui l'intérêt le plus vif ; et s'étant assuré de l'honnêteté de ses mœurs et de l'étendue de ses connaissances, il lui confia l'éducation de son fils, et l'amena à Paris en 1742.

Darcet, passant subitement de la société de gens vulgaires et mécaniques dans celle d'un homme que sa réputation et son rang liaient avec les personnages les plus illustres, ne s'y trouva point déplacé : il obtint