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cette époque funeste avaient rendu suspect[1], perdit sa place et fut renfermé à Saint-Lazare. Tant que sa détention dura, Gilbert portait, chaque mois, à la femme de cet ami la moitié de ses propres appointements, lui laissant croire que c'étaient ceux de son mari, afin qu'elle ne se doutât pas de sa destitution, et qu'elle ne vit point toute l'étendue du danger qu'il courait.

Un trait moins intéressant par lui-même mérite encore d'être rapporté, à cause d'un heureux concours de circonstance qui le récompense immédiatement de sa bonne action.

Lorsqu'il entra en Espagne, les routes étaient infestées de voleurs, restes de la guerre qui avait désolé la frontière ; et comme on ne pouvait voyager qu'en troupe et bien armé, il s'était arrangé pour faire route commune avec plusieurs marchands. Une française[2] dont la grandeur passée n'a fait qu'aggraver les malheurs présents, apprenant qu'un de ses compatriotes passait dans son voisinage, le fait prier de venir la trouver. Gilbert, imaginant bien qu'il n'entendrait que des plaintes auxquelles il ne pourrait donner aucun remède, refusa d'abord de quitter sa caravane ; mais un instant de réflexion le rappela à son caractère, et il se détourna de plusieurs lieues pour porter à cette dame au moins quelques consolations.

Précisément dans cet intervalle, la troupe qu'il venait de quitter fut battue et dévalisée par les brigands ;

  1. M. Dubois, qui a été depuis préfet du Gard : il avait été attaché à M. de Malesherbes.
  2. M. la duchesse douairière d'Orléans.