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injustices des privilégiés, est pernicieuse, parce que ses attributions restent indécises et mal réglées. Il est vrai que les seigneurs russes sont maîtres et maîtres trop absolus dans leurs terres : de là il résulte des excès que la peur et l’hypocrisie déguisent sous des phrases d’humanité prononcées d’un ton doucereux, qui trompe les voyageurs et trop souvent les chefs du gouvernement eux-mêmes. Mais à vrai dire, ces hommes, bien que souverains dans leurs domaines les plus éloignés du centre d’action politique, ne sont rien dans l’État ; chez eux ils abusent de tout, ils se moquent de l’Empereur, parce qu’ils corrompent ou qu’ils intimident les agents secondaires du pouvoir suprême, mais le pays n’en est pas plus pour cela gouverné par eux ; tout-puissants pour le mal qui se fait chez eux en détail et à l’insu de l’autorité supérieure, ils sont sans force comme sans considération dans la direction générale du pays. Un homme du plus grand nom en Russie ne représente réellement que lui-même ; il ne jouit d’aucune considération étrangère à son mérite individuel dont l’Empereur est l’unique juge, et tout grand seigneur qu’il est, il n’a d’autorité que celle qu’il usurpe chez lui. Mais il a du crédit, et ce crédit peut devenir immense s’il est habile à le faire valoir, et s’il sait s’avancer à la cour et par la cour dans le tchinn[1] ; la flatterie est

  1. Voir la Lettre dix-neuvième du IIe volume.